La théologie kimbanguiste exclut la danse de la liste des différents fruits de l’esprit, cela revient à dire que l’on devait également s’abstenir d’écouter la musique qui va avec ; car la danse et la musique sont intimement liées. Si l’église dans son ensemble ne dit pas très clairement s’il faut l’écouter ou pas, la bible de son côté est par contre sans équivoque à ce sujet. Ainsi donc, nous lisons dans Ephésiens 5 : 19 ce qui suit : « Entretenez-vous par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur ».
A vrai dire, les chrétiens en général, et les kimbanguistes en particulier, ne devraient pas écouter les chansons profanes. En effet, contrairement à la louange, la musique mondaine ne les fortifie pas spirituellement, et ne leur apprend rien de spécial qu’ils ne connaissent pas déjà. Mais, nous nous permettons tout de même de vous faire connaître une chanson bien mondaine, dont le thème est d’une connotation spirituelle évidente. Il s’agit du chef- d’œuvre de « Verckys », né Georges Kiamuangana Mateta, intitulé « Nakomitunaka » c’est-à-dire « Je m’interroge », dont nous traduisons librement les paroles du lingala au français. Dans le vaste répertoire de la musique moderne congolaise, cette célèbre chanson est unique en son genre, dans la mesure où il constitue un véritable questionnement sur l’origine de la race noire ; thème cher à Papa Diangienda kuntima.
A eeeee nakomitunaka (2x) A eeeee je m’interroge
Solo 1. Nzambe nakomitunaka Mon Dieu je m’interroge Poso muindo ewuta nde wapi ? D’où vient la race noire ? Koko na biso ya kala ye nani ? Qui est notre tout premier ancêtre ? Yesu muana Nzambe ye nde mondele Jésus le Fils de Dieu est blanc Adamu na Eva bango nde mindele Adam et Eve sont blancs Ba sango nioso bango pe mindele Les prêtres également Pona nini eeeeeeeee Pourquoi donc !
Solo 2. Nzambe nakomitunaka Mon Dieu je m’interroge Ba buku ya Nzambe tomanaka boye Dans la littérature sacrée Ba santu nioso photo se mindele Tous les saints sont blancs B’angelou nioso bango se mindele Tous les anges le sont aussi Soki zabolo photo moto muindo Par contre Satan est noir Injustice ewuta wapi a mama aaaa D’où vient donc cette injustice ?
Solo 3. Nzambe o nakomitunaka Mon Dieu je m’interroge Poso muindo ewuta nde wapi D’où vient la race noire ? Ba noko bakanga biso mayele boye Les colons nous ont vraiment abrutis Bikeko ya ba koko bango baboyaka Ils ont dénigré nos statues Kisi ya ba koko bango bandimaka te Et aussi la pharmacopée traditionnelle Kasi na ndako ya Nzambe biso tomonaka Cependant, dans l’église, nous constatons Tokosambela chapelet na maboko Que nous prions chapelet en mains Tokosambela bikeko bitondi ndako Nous invoquons les statues qui s’y trouvent Kasi bikeko yango se mindele Et toutes sont blanches Pona nini Nzambe ? Pourquoi donc ?
Solo 4. Nzambe nakomitunaka Mon Dieu je m’interroge Ba prophète ya mindele biso tondimaka Nous, nous croyons en leurs prophètes Kasi ya bato muindo bango bandimaka te Mais eux ne croient pas aux nôtres Pona nini Nzambe osala biso boye ? O Dieu pourquoi nous as-tu fait ainsi ? Africa miso efunguami Afrique ! Maintenant que tu t’es réveillée Africa tozonga sima te mama aaaaa Afrique ! Ne repars plus en arrière.
Sortie en 1972 avec le concours vocal de Pepe Kallé et José Bébé, soit 12 ans seulement après la vague des indépendances africaines, cette chanson atypique a eu beaucoup de succès. Mais l’auteur avait dû faire face à la désapprobation de l’église catholique qui, s’était sentie à la fois visée et offensée. En guise de représailles, les prélats firent des neuvaines pour le maudire et c’est sur le plateau de l’émission « Souvenirs… » de la RNTC 2 que Kiamuanga Mateta a lui-même reconnu que : « ces prières ont porté, car à cette époque-là, j’ai connu beaucoup de difficultés dans ma vie ». Un jour, le cardinal Joseph Malula avait fini par inviter Kiamuangana Mateta chez lui, et fit donc obligé de le désenvoûter au cours d’une cérémonie tout à fait spéciale. Bien avant cela, le primat de l’église catholique _ déjà précité _ avait reconnu que la chanson incriminée était loin d’être blasphématoire, mais qu’elle était plutôt prématurée. C’est ce qui ressort des propos de Kiamuangana Mateta lui-même, propos rapportés par Kale Ntondo dans un article du 26 septembre 2012 publié par digitalcongo.net.
On a souvent pensé que cette célèbre chanson « Nakomitunaka » avait été inspirée à son auteur « Verckys » par la politique du retour à l’authenticité, initiée par le président Mobutu dès le 27 octobre 1971. Loin s’en faut. Nous pensons plutôt que l’inspiration lui est venue tout droit de son passée d’ancien kimbanguiste. En effet, « Verckys » Kiamuangana Mateta avait été à l’époque membre actif de la FAKI (fanfare kimbanguiste) et c’est en son sein qu’il apprendra à jouer à la clarinette. Et on sait très bien que de la clarinette au saxophone, il n’y a qu’un petit pas à franchir. On sait aussi que les toutes premières générations des musiciens kimbanguistes (fanfare kimbanguistes) ont accompagnées Papa Diangienda Kuntima partout, où il est allé évangéliser au nom de Jésus-Christ et préciser les grandes lignes de l’œuvre accomplie par son père Papa Simon KIMBANGU. Soucieux de consolider les acquis du kimbanguisme, Papa Diangienda Kuntima avait beaucoup voyagé et avait déjà commencé à cette époque-là d’expliquer à la FAKI certaines énigmes de la bible.
« D’où vient l’homme noir ? » est une question récurrente qu’il n’avait jamais cessé de poser aux kimbanguistes. En effet, à l’instar de son père Papa Simon KIMBANGU, Papa Diangienda Kuntima s’était beaucoup préoccupé de la condition de l’homme noir. Ce dernier dominé, humilié, réduit en esclavage et colonisé, avait perdu pas mal de repères ; au point d’en arriver à douter du fait qu’il était une créature de Dieu. Déshumanisé et chosifié, on l’a traité de « macaque » sans qu’il ait eu la possibilité de contredire librement, ceux qui se permettaient de le lui dire en face. Pendant longtemps, l’homme noir a donc accepté malgré lui sa situation de damné de la terre, de rebut de l’humanité, de moins que rien. Et, quand les prêtres et pasteurs occidentaux ont à leur tour dramatisé les choses, en le présentant comme une émanation de Satan, le noir a fini par ne plus savoir d’où il venait et qui il était.
En tout cas, quoique l’on dise sur l’inspiration de « Verckys », pour nous il n’y a pas l’ombre d’un doute : « Nakomitunaka » est le reflet de la culture kimbanguiste, qu’il avait intériorisée en sa qualité d’ancien membre de l’église kimbanguiste. Au sein de celle-ci, le thème de l’homme noir était constamment évoqué et développé par son premier chef spirituel, Papa Diangienda Kuntima, qui ne cessait de l’exhorter à découvrir son identité spirituelle. En effet, il encourageait l’homme noir à rechercher ses origines et à connaître son histoire jusque dans les moindres détails ; ce n’est que de cette façon-là que celui-ci pouvait parvenir à comprendre le « pourquoi » de son malheureux passé et surtout à connaître le « comment » de son bienheureux avenir.
D’où, cette inévitable question : « d’où vient la race noire ? », que « Verckys » Kiamuangana Mateta a bien voulu répercuter au-delà de la communauté kimbanguiste au moyen d’une chanson réfléchie et très édifiante. Et, même si la politique du retour à l’authenticité avait contribuée au succès de « Nakomitunaka », elle n’a pas pour autant inspirée cette œuvre majeure de la musique moderne congolaise. Nous tenons à signaler que c’est en 1972 _ année de sa sortie à Kinshasa _ qu’avait officiellement eu lieu au Zaïre la toute première retraite spirituelle kimbanguiste de grande envergure.
_________________ Bobangi bua Njambe ezali ebandeli ya mayele.
|